Ils grouillent. Ils marchent. Ils rient, ils parlent. Ils te frôlent, te croisent, te nomment parfois. Et pourtant, tu te tiens là, au milieu du tumulte, isolé(e) comme une île sans rive. La foule t’engloutit, mais ne te touche pas. Le monde bourdonne, mais ne t’écoute pas. Tu es là, et tu n’es nulle part. Tu parles, mais ta voix ne résonne que dans ton propre crâne. Tu vis, mais ton cœur ne palpite plus au rythme des autres.
Cette solitude-là n’a pas de rideaux tirés ni de pièces vides. Non. Elle habite les salons bruyants, les conversations polies, les sourires automatiques. Elle est là, camouflée dans les accolades, lovée dans les “comment ça va ?” sans attente de réponse. C’est la solitude sophistiquée du siècle pressé. La solitude saturée de Wi-Fi, de statuts, de rendez-vous. Une solitude qui porte des habits de fête mais pleure en silence dans les coins invisibles de l’âme.
Et ce n’est pas seulement d’absence qu’elle se nourrit, cette bête-là. Non. Elle se régale de présence superficielle, de liens feuilletés, de contacts sans ancrage. Elle grandit dans l’excès de tout sauf de l’essentiel. Elle gonfle à mesure qu’on se regarde sans se voir, qu’on se parle sans se dire. Elle prospère dans les silences malentendus, dans les regards qui glissent, dans l’inconfort d’être soi au milieu des autres.
C’est là que la santé mentale chancelle, doucement, sans fracas. Elle ne s’effondre pas d’un coup. Elle s’effrite, comme un mur rongé par l’humidité des jours sans vérité. On ne tombe pas forcément. On se délite. Et un matin, on se réveille vide, creusé de l’intérieur, avec pour seul écho les mots qu’on n’a jamais osé dire. Les cris qu’on a avalés, les vérités qu’on a polies jusqu’à les rendre muettes.
Mais il arrive que dans cet abîme, quelque chose veille encore. Une voix. Faible. Têtue. Une lumière douce comme une chandelle dans une cathédrale abandonnée. Elle dit : “Je suis là. Je te vois. Tu n’es pas fou. Tu n’es pas seule.” Et cette voix, parfois, c’est un livre. Une musique. Une prière. Un regard qui reste. Parfois, c’est toi-même, dans un miroir que tu oses enfin affronter.
Alors oui, la santé mentale est aussi cela : une lutte pour exister vraiment, au milieu du bruit. Une lutte pour garder vivant l’os du soi, le noyau fragile mais incandescent de ton être, même quand tout autour devient façade. La santé mentale, ce n’est pas seulement survivre aux tempêtes. C’est apprendre à habiter l’œil du cyclone sans s’y perdre. À faire silence sans sombrer. À crier sans hurler.
En ce mois de mai: mois dédié à l’invisible, à l’intime, à l’urgente nécessité de prendre soin de notre monde intérieur, rappelons-nous ceci : le pire exil, c’est celui que l’on vit au milieu des autres.
Et parfois, un simple : “Je suis là si tu veux parler” vaut plus que mille discours.
Car il suffit parfois d’une main tendue, d’un mot juste, d’un regard qui sait, pour qu’un cœur exilé retrouve son rivage.
Et qu’enfin, dans la foule,
quelqu’un entende notre chant muet.
Léora
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